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Anne Besson : « Les publics attendent des fictions qu’elles leur délivrent un message. »

Nous avons tous vu ces manifestants qui brandissent des pancartes faisant référence à Game of Thrones ou à La servante écarlate, ou qui, en Thaïlande notamment, protestent en levant trois doigts comme dans Hunger Games. Ce sont ces étendards de révolte, évoquant directement des œuvres de l’imaginaire, qui ont donné à Anne Besson l’envie d’écrire Les pouvoirs de l’enchantement. Dans cet ouvrage paru en janvier 2021, cette universitaire propose de mieux comprendre les liens entre la science-fiction ou la fantasy et leur appropriation en politique, en éclairant les contextes historiques et théoriques. Autrement dit : de décortiquer le lien entre enchantement et engagement.

Dans cet article, on rencontre
Ça parle de quoi ?

Au cours de cet entretien, nous avons parlé de J.K. Rowling et de Tolkien, de storytelling et d’utopies, de fans engagés et d’autrices à mission. Ce qu’on en retient ? Que les relations entre fiction et politique ont toujours été intimes, que ce sont les publics qui créent le pouvoir transformatif d’un récit, que le contrat entre un auteur, son œuvre et son public est loin d’être figé… Et puis, qu’on aura sans doute besoin de beaucoup de Force pour affronter l’hiver qui arrive !

Le lien entre la fiction et l’engagement politique est-il spécifique à notre époque ? On pense aux mythes et légendes qui constituent les fondements de notre histoire, aux contes philosophiques du 18e siècle, aux grandes utopies du 19e…

C’est en réalité cyclique, et lié à la manière dont on considère ou non la possibilité de l’utopie ou de l’idéalisme. Périodiquement, ces notions n’ont plus droit de cité. Ainsi, entre la fin des années 1970 et les années 2000, nous avons traversé une phase lors de laquelle le réalisme le plus implacable était de mise. Heureusement, nous sommes en train d’en sortir.

Certaines idéologies ont voulu faire croire aux publics qu’il n’était plus possible de penser l’utopie. C’est le fameux « There is no alternative » porté par l’ultralibéralisme de Margaret Thatcher, qui dit précisément qu’il est impossible de penser en dehors de ce qui est présenté comme étant la seule réalité envisageable.

Dans beaucoup d’œuvres populaires de ces dernières décennies (Harry Potter, Hunger Games, La servante écarlate…), l’action se déroule dans des univers qui pourraient être contemporains. Est-ce que cette temporalité participe au pouvoir transformateur des œuvres de fiction ? Est-ce qu’elle rend la projection plus facile ?

Le fait qu’on puisse directement corréler une œuvre à notre espace-temps n’est pas forcément un critère d’appropriation. Cela peut même être un facteur limitant, s’il empêche la réactualisation au fil des génération. 1984 est un exemple frappant. Dès son titre, l’œuvre est inscrite dans une temporalité claire. Elle survit néanmoins à cette inscription dans le temps, désormais dépassée, et y gagne même un écho plus fort.
Cette possibilité d’un rattachement trop direct à une actualité, à un cadre spatio-temporel précis, constitue plutôt un piège quant à la pérennité de ces œuvres. Il bloque leur ouverture herméneutique. Des œuvres qui se déroulent plus loin de nous, dans des mondes secondaires, comme Game of Thrones ou le Seigneur des anneaux font l’objet d’appropriations diversifiées et renouvelées.

Tolkien s’est d’ailleurs opposé aux lectures allégoriques. Il a déclaré que l’anneau n’était pas la bombe atomique ou que les orques n’étaient pas les communistes car, à sa sortie, certains ont lu Le Seigneur des Anneaux à la lumière de la Seconde Guerre mondiale. L’auteur s’est tout autant opposé à la lecture de la génération suivante, celle des hippies de la deuxième moitié des années 1960 qui, dans le contexte de la guerre du Vietnam, ont vu dans cette œuvre un propos antimilitariste et ont mis l’herbe à pipe et la lutte contre l’industrialisation au premier plan. Aucune de ces lectures, pourtant opposées, ne convient à Tolkien. Car ce qu’il veut, c’est détacher son univers et son intrigue de toute référence trop précise, pour que chacun puisse y trouver ce qu’il veut, que rien ne soit automatique, et donc excluant.

Souvent, les protagonistes des fictions veulent renverser le pouvoir en place. On pense par exemple à Hunger Games ou à La servante écarlate. Est-ce qu’une œuvre fonctionne mieux, c’est-à-dire parle à un plus large public, porte un message plus efficace, ou même vend mieux, quand elle est ouvertement progressiste ou même révolutionnaire ?

Une des bases de la narration veut que la présence d’un obstacle ou d’une opposition à renverser produit plus de tension, et donc plus d’intérêt, plus d’empathie pour les personnages. C’est une recette assez universelle.
Après, cette mise en scène de la rébellion est souvent progressiste dans les œuvres qui ont eu du succès. Régulièrement, les scénarios montrent la révolte des jeunes générations face aux générations antérieures, qui ont failli et laissent un monde dégradé, une civilisation au modèle délétère, dont les jeunes gens ne veulent plus. La narration consiste alors à montrer comment la jeunesse peut prendre les choses en main, et refuser l’héritage qui lui est laissé en partage.

Mais ce schéma révolutionnaire n’est pas en lui-même progressiste. Nous pouvons tout à fait imaginer des récits dans lesquels il s’agirait de s’opposer à la décadence de l’Occident et de restaurer des valeurs identitaires face au relâchement général des mœurs.
Les fictions ne sont pas vouées à délivrer un seul message. Il se trouve que la plupart des artistes, notamment les scénaristes hollywoodiens, sont des démocrates acquis à l’ouverture morale. Donc ils poussent leurs récits dans ce sens. Mais cela ne va pas sans heurt et sans contestation, même de la part de leurs publics les plus loyaux parce que les plus anciens.

« Une des bases de la narration veut que la présence d’un obstacle ou d’une opposition à renverser produit plus de tension, et donc plus d’intérêt, plus d’empathie pour les personnages. »

Vous parlez beaucoup du contrat relationnel entre l’auteur, son œuvre et son public, souvent amené à évoluer, voire se renverser. Est-ce que les publics attendent des œuvres qu’elles délivrent un message ? On pense aussi au bad buzz récent autour des propos jugés transphobes de J.K. Rowling…

Effectivement, le fait que l’œuvre délivre un message est désormais une attente conscientisée des publics. Ça fait aujourd’hui partie des critères d’évaluation d’une œuvre. Pas seulement dans le champ de l’imaginaire ou de la culture populaire. Par exemple, la poésie contemporaine ou le cinéma français ont aussi à cœur de marquer leur engagement.

Maintenant, le message de l’œuvre n’est pas le message de l’auteur. Ce cadre relationnel que vous évoquez se joue au moins à trois. Parfois plus, s’il y a des producteurs ou adaptateurs qui s’y ajoutent. C’est le cas pour Harry Potter : il y a la partie Rowling et la partie Warner.
Ce qui est en train d’évoluer, c’est le rapport de pouvoir entre l’auteur et les publics autour de l’œuvre. Qui la possède ? Qui peut dire la vérité ? Qui peut l’interpréter ? Qui a le dernier mot ?

L’exemple de J.K. Rowling illustre la manière dont cet équilibre s’est transformé sur le long terme. Au départ, c’est évident qu’elle a le pouvoir : elle écrit le livre et décide de la direction que prend son intrigue. Elle défend des choix face à des options considérées comme plus consensuelles par les éditeurs ou les prescripteurs. Quand elle décide de tuer des personnages importants, les parents lui disent qu’elle va traumatiser les enfants, mais elle tient bon. Non seulement J.K. Rowling détient ce pouvoir, mais en plus elle le confère à ses lecteurs. Elle les soutient face aux ayants droit qui ont acheté fort cher le droit d’adaptation et qui estiment devoir protéger leur propriété. Elle défend le droit des fans à écrire leurs propres histoires. C’est la première vraie personnalité qui s’engage pour la fan fiction, et qui a l’intuition forte que le fait de permettre à des communautés d’exister et de se développer va apporter à sa fiction et à son univers.
Et puis, J.K. Rowling termine son histoire, alors qu’elle est encore assez jeune. Elle n’est pas très présente dans les médias, mais tout ce qu’elle dit est scruté à la loupe. Progressivement, elle prend des positions qui s’éloignent des messages dont les fans, à juste titre, estiment qu’ils étaient portés par l’œuvre et dont ils sont désormais les hérauts. Le fossé se creuse.

Déjà, il y a une dizaine d’années, quand, sous la pression des lecteurs qui jugeaient bizarre que tout le monde soit hétérosexuel dans son univers, J.K. Rowling a fait un outing tardif de Dumbledore alors que rien ne permettait de le comprendre dans le texte, cela avait posé problème. Il y aussi eu les positions grossophobes, avec les membres de la famille Dursley comparés à des cochons. Petit à petit, certains aspects de l’œuvre sont devenus étrangers, en raison de l’évolution de la perception des publics sur beaucoup de questions éthiques qui ne sont pas forcément faciles ou même possibles à anticiper.

Quand, aujourd’hui, nous regardons des films d’il y a 10 ou 15 ans, nous sommes choqués de ce qui pouvait être représenté. Seules les œuvres les plus fines, ou qui ont fait l’objet des appropriations ou des actualisations les plus nourries, qui se rechargent régulièrement au contact des publics, évitent cette obsolescence idéologique. Pour autant, celle-ci est parfaitement normale, et la plupart des œuvres y succombent. Cela a toujours été le cas.

« Ce qui nous définit aujourd’hui, ce n’est plus notre religion ou notre profession, mais notre engagement vis-à-vis de telle ou telle fiction. »

Dans Les pouvoirs de l’enchantement, vous écrivez : « Take back the narrative ».  Une des forces de la fiction, expliquez-vous, c’est de permettre au consommateur culturel de devenir un acteur social, c’est-à-dire de s’approprier la fiction partagée pour en faire une parole individuelle, qui implique et responsabilise chacun dans ce qui est commun. Est-ce là le vrai pouvoir d’un récit transformateur ?

J’ai voulu reprendre à mon compte ce slogan qui est celui de nombre de communautés de fans. « Take back the narrative », c’est reprendre le pouvoir et l’autorité qui est normalement celle de l’auteur. Les fans utilisent aussi beaucoup l’expression « The power that be », les pouvoirs en place, pour désigner les auteurs, producteurs ou diffuseurs : ceux qui décident à leur place.

L’idée, c’est de ne plus se laisser faire vis-à-vis de ces récits qui en sont venus à représenter une bonne part de leur engagement sociopolitique. Ce qui nous définit aujourd’hui, ce n’est plus notre religion ou notre profession, mais notre engagement vis-à-vis de telle ou telle fiction. Les identités individuelles se définissent énormément par les goûts fictionnels que l’on affiche, et la manière dont on les combine entre eux. C’est cette intimité, cette familiarité tissée entre les fictions et nos vies qui fait qu’on se les approprie.
Ce ne sont pas les fictions elles-mêmes, mais les publics, qui créent le pouvoir transformatif d’un récit. Une fiction peut être tordue dans un sens ou dans un autre, c’est l’amour qu’elle est capable de susciter qui est la force principale dont se nourrissent les militants. Ce qu’apporte le récit, c’est cet engagement collectif qui produit de l’enthousiasme, de la motivation, de l’espoir, de la capacité à faire changer.

Cela fait écho à ce que vous expliquez dans votre livre : les fictions nous fournissent les images pour penser collectivement le réel. Est-ce que, finalement, les fictions ont réussi là où les instances politiques ont échoué, à transmettre des valeurs, des mots d’ordre et les incarner à travers des personnages et des situations ?

Tout à fait. La repolitisation des fictions va de pair avec un découragement de la démocratie. La polarisation du champ politique vers les extrêmes, qui se traduit par l’arrivée au pouvoir de leaders très inquiétants, demande à ce qu’un discours contre-dystopique, et donc utopique, puisse se faire entendre.

« La repolitisation des fictions va de pair avec un découragement de la démocratie. »

Depuis la fin de la guerre froide, on parle de la condition post-moderne, de la fin des grands récits. En fait, cela est le cas depuis que les récits communistes vs libéraux ont commencé à prendre du plomb dans l’aile, avec les guerres de décolonisation.
Mais ce n’est qu’assez progressivement que les fictions ont pu faire valoir leur rôle de contre-discours collectif. Le fait que certaines aient duré, qu’elles soient transgénérationnelles, comme Star Wars ou Le Seigneur des anneaux, participe à leur écho. Elles nouent un lien entre les générations, qui peuvent se retrouver autour d’images incarnées.

L’ensemble des outils de communication nécessaires à toute bonne campagne, marketing ou politique, sont réunies dans les fictions que nous avons évoquées. Elles proposent à la fois des icônes très fortes, par exemple les typographies de Harry Potter, de Buffy ou Game of Thrones, qui font office de signal à elles seules, mais aussi des slogans ou catchphrases que certains se font même tatouer, et des personnages avec des costumes spécifiques qui permettent de les incarner facilement. Et puis, autour de ces personnages importants, une constellation de rôles, tous porteurs de valeurs. Ce sont des ensembles qui sont extrêmement riches, qui peuvent à la fois être allumés en un clic, et déployés avec plusieurs strates de profondeur. Ce sont des récits très épais à exploiter en commun, et c’est d’ailleurs ce à quoi s’emploient les communautés de fans depuis des décennies. Les productions des fans sont riches d’érudition, de créativité, d’enthousiasme, ça serait dommage que tout ça ne soit pas mis au service d’une transformation, au-delà du monde numérique.

« Les productions des fans sont riches d’érudition, de créativité, d’enthousiasme, ça serait dommage que tout ça ne soit pas mis au service d’une transformation, au-delà du monde numérique »

Nous évoquons l’influence grandissante des œuvres de fiction : est-ce que ça revient à dire que les auteurs ont une responsabilité de plus en plus importante ? Pourrait-on parler d’auteurs à mission, comme on parle d’entreprises à mission ? Et, selon vous, sont-ils conscients de cette responsabilité ?

Les auteurs ont conscience de leur responsabilité, mais je pense qu’ils en sont victimes, plus qu’ils n’en jouent. Et oui, il y a vraiment des auteurs, ou plutôt des autrices à mission aujourd’hui. Elles ont par exemple comme objectif de mieux représenter la diversité genrée ou sexuée, les identités racisées ou queer. La diversité des représentations, notamment des rôles féminins, est au cœur des pratiques créatives et des vocations. En France, des autrices comme Anne-Fleur Multon, Betty Piccioli, Ketty Steward, Charlotte Bousquet ou Estelle Faye portent ces motivations. Elles ont investi et décidé de prendre à bras le corps ces nouveaux enjeux à la suite des américaines et afro-américaines, comme Nnedi Okorafor, qui avait ouvert la voie avec un grand succès.

Ces choix peuvent être payants auprès d’une certaine catégorie de public, jeune et féminin. C’est plutôt le profil des lectrices des littératures de l’imaginaire, donc de ce point de vue là, ça colle bien. Cependant, ces autrices ont conscience qu’un retour de bâton peut aussi se faire attendre. Il y a une double obligation contradictoire et paradoxale : à la fois, on confère aux autrices la responsabilité d’une meilleure représentation de la diversité, mais en même temps, si elles n’en sont pas considérées comme assez proches, elles peuvent se le voir reprocher.
Mal représenter peut être pire que ne pas représenter du tout. Si on est une femme blanche, ou à plus forte raison, un homme blanc, ce n’est pas forcément l’idée la plus maline d’écrire l’histoire d’une petite fille noire. Timothé de Fombelle, qui est par ailleurs un excellent auteur, a déclenché un petit scandale avec sa série au sujet de l’esclavage qui a comme héroïne Alma, une petite fille noire.

Ces questions sont très vives dans la société américaine, et comme c’est souvent le cas, elles vont se multiplier en France, car elles sont très directement liées à cette demande de meilleure représentation et donc de prise en compte fine des attentes et des sensibilités des publics. L’apparition des termes et des postes de sensitivity reader va dans ce sens. Ça fait aussi partie du rapport de pouvoir entre les auteurs et les fans dont nous discutions précédemment.

Une fiction est jugée pertinente comme outil pour penser le monde si elle est sincère et authentique. Mais comment être « vrai » lorsqu’on vise l’enchantement du monde ?

La sincérité et l’authenticité sont des critères donnés par les fans eux-mêmes. Je suis consciente de leur caractère absolument problématique. Va être perçue comme sincère et authentique une œuvre dont on a l’impression qu’elle émane d’une personne engagée, ou directement partie prenante. Par exemple une personne transsexuelle qui va parler de transexualité. Plus on est proche de la cause qu’on défend, plus on va être authentique dans le compte-rendu qu’on va pouvoir en donner.

Mais cette manière de penser les choses est extrêmement située et éphémère : c’est ce que l’on perçoit à l’instant T comme étant la manière authentique de parler de tel ou tel problème. Nous en parlions, la force des littératures de l’imaginaire vient de la distance qu’elles savent créer avec les objets de l’actualité dont elles se saisissent. Elles les transforment et nous les donnent à voir sous des angles différents, une autre perspective, un autre point de vue. Si on essaye de trop coller aux attentes actuelles des publics, on risque de se couper de cette richesse.

La trop grande proximité, c’est ce qui rend la littérature engagée des années 1970 illisible aujourd’hui. Et c’est encore pire pour la littérature engagée des années 1930 ou de la littérature colonialiste et raciste de la fin du 19e siècle. Chaque époque a créé une masse de littérature complètement inféodée à son idéologie, qui en son temps a rencontré un écho direct et évident, mais qui le paie par une absence de pérennité.

« La force des littératures de l’imaginaire vient de la distance qu’elles savent créer avec les objets de l’actualité dont elles se saisissent. »

La fiction est donc un outil d’influence considérable : est-elle récupérée par des organisations politiques ? Des entreprises ?

Bien sûr, et ça se fait tout le temps : c’est le storytelling. Karl Rove, un des conseillers en communication de George Bush pendant la guerre du Golfe avait déclaré devant un parterre de journalistes : « We’re an empire now, and when we act, we create our own reality ». « And while you’re studying that reality—judiciously, as you will—we’ll act again, creating other new realities, which you can study too, and that’s how things will sort out. We’re history’s actors…and you, all of you, will be left to just study what we do. »

C’était un moment où les conseillers en communication décidaient à quoi le monde devait ressembler. Il a en quelque sorte vendu la mèche : « oui, peut-être que les Iraquiens n’ont pas d’arme de destruction massive, mais ce qui importe, c’est que nous l’avons dit. Vous, les journalistes, l’avez cru ou pas, mais la réalité nous a suivi. »
Karl Rove explique qu’il écrit la réalité et que ça n’a aucun sens pour les journalistes d’essayer de rétablir la vérité, qu’ils sont condamnés à être derrière, à faire du cross-checking pendant que lui raconte ce qu’il veut, et qu’il l’incarne dans le réel. C’est après cela que l’on est entré dans le règne des fake news, et que l’on a adopté cette idée que le politique et le fictionnel peuvent échanger leurs attributs de manière extrêmement rapide.

Donc oui, la fiction est repérée comme potentiel levier politique. Il existe plein de campagnes de communication, en général ratée, qui s’en emparent. Il faudrait que les agences de communication prennent conscience du fait qu’il faut bien connaître le matériau pour s’en saisir d’une manière qui ne soit pas absurde et gênante par les publics concernés. On peut penser à la Police nationale qui utilise les Stormtroopers pour inciter à l’engagement, alors que ce sont les méchants de l’histoire.

La plupart des leaders politiques de 40 ou 50 ans ne manquent jamais de tweeter « May the fourth be with you ». Ça n’a pas été fait à plus large échelle, sauf dans le cadre de jeunes activistes, comme par exemple des militantes féministes qui se déguisent en servantes écarlates, ou un syndicat étudiant rennais qui se définit comme l’armée de Dumbledore.

Nous avons aussi un corpus énorme de pancartes de manifestations qui évoquent Sauron, l’Empire ou les marcheurs blancs. Tout l’éventail des opposants diaboliques de la fantasy est régulièrement ressorti pour attaquer le dernier problème en date.
Il existe aussi beaucoup d’exploitations commerciales. Des publicités autour d’Harry Potter, qui sans le citer directement car c’est sous licence, parlent de cours à domicile « comme à Poudlard », d’« enseignants magiques » ou d’autres qui vendent des cahiers car « September is coming », en citant visuellement les yeux bleu clair des marcheurs blancs. C’est facile de détourner cette imagerie pour des propos marketing, car elle s’y prête vraiment bien.

Lecture recommandée
Les pouvoirs de l’enchantement
Par Anne Besson

Il existe aussi beaucoup d’exploitations commerciales. Des publicités autour d’Harry Potter, qui sans le citer directement car c’est sous licence, parlent de cours à domicile « comme à Poudlard », d’« enseignants magiques » ou d’autres qui vendent des cahiers car « September is coming », en citant visuellement les yeux bleu clair des marcheurs blancs. C’est facile de détourner cette imagerie pour des propos marketing, car elle s’y prête vraiment bien.

Poursuivez la réflexion avec Les pouvoirs de l’enchantement, paru en janvier 2021. À retrouver sur le site des éditions Vendémiaire.
« C’est un livre dans lequel j’ai voulu éclairer les usages politiques des genres de l’imaginaire, en apportant un regard bienveillant et optimiste, mais aussi une contextualisation théorique et historique. »

Consultez également la liste de l’ensemble de publications d’Anne Besson dans cet annuaire de l’université d’Artois.

Auteurs et autrices

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