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Jean-Laurent Cassely : « La recherche d’authenticité est le signe d’une perte. »

Jean-Laurent Cassely nous parle de la sincérité et de notre rapport au vrai dans une société en quête d'authenticité

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Jean-Laurent Cassely nous parle de la sincérité et de notre rapport au vrai dans une société en quête d’authenticité


La sincérité4

« Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux », affirmait Guy Debord dans La Société du spectacle. Qu’est-ce qu’il voulait dire par là ?

Dans les années 1960-1970, la réflexion sur le faux est omniprésente chez les auteurs critiques comme Guy Debord. Un grand nombre d’auteurs de cette époque s’intéressent alors à la société de consommation, à la modernité, au high-tech de l’époque (les voitures, la tv, la publicité…), en bref à la société de mass communication et à l’entrée dans l’ère du marketing et de ses premiers spécialistes.
Les changements sont profonds et rapides, qu’il s’agisse des nouvelles technologies, des nouveaux moyens de communication ou encore d’urbanisme. La France et l’ensemble des sociétés occidentales évoluent tellement vite que les individus ont finalement l’impression de vivre dans un décor. Un sentiment indicible se répand. On vivrait dans un monde faux caractérisé par son artificialité. Un monde mis en scène par les publicitaires.

Et aujourd’hui, où en est-on ? Comment notre rapport au vrai a-t-il évolué ?

Il y a l’idée que tout ce qui est procéssé, industrialisé, surproduit, sonne faux. Et que la vérité, c’est la nature, le brut de décoffrage, le non-raffiné. C’est quelque chose de particulièrement prégnant dans l’alimentaire. Pour ne prendre qu’un exemple, le vrai pain, dans les années 1980, c’est le pain blanc. C’était le top de la modernité. Aujourd’hui, la tendance est plutôt au pain au levain naturel. Il y a un renversement, c’est cyclique.

Comment interpréter ces quêtes d’ « authenticité » ?

Elles disent l’angoisse vis-à-vis de la transformation du monde. C’est le paradoxe de la modernité : plus on vit dans un monde qui se modernise fortement et rapidement, plus se développe le sentiment que c’était mieux avant. Nous n’avons pas l’impression de vivre dans le futur. Nous avons plutôt envie d’acclimater le futur au passé, ou plus précisément à l’image que l’on se fait du passé. Bien souvent, ce passé idéalisé n’a jamais existé.
Il faut aussi avoir en tête que cette quête est le fait d’une génération particulièrement jeune. Ce que nous imaginons être les racines ou un retour aux sources est une sorte de recréation un peu « Amélie Poulainesque », cartoonesque de l’authenticité. Le retour de hype des restaurants routiers et l’intérêt qu’ils suscitent auprès de ces générations – recréation du modèle en centre-ville, comptes Instagram… – l’illustre parfaitement.

Le caractère conscient et intentionnel de cette quête n’entre-t-il pas en contradiction avec cette volonté de retrouver du « vrai » ?

Si l’on est dans une démarche consciente, c’est déjà le signe que l’on a perdu quelque chose. La recherche d’authenticité est le signe d’une perte. Le fait de la réactiver pose la question de l’intentionnalité de la démarche. Comment faire pour que ça ne se voie pas trop ? Quand on fait face à la recréation d’un « vrai » lieu, on sent bien que quelque chose cloche. Il y a une conscientisation de tout. Tout a été réfléchi, un designer d’intérieur est intervenu, il y a eu des PowerPoint, etc. Le passé va être soigneusement édité, notamment sur le plan des mœurs et des valeurs

Peut-on renouer avec une certaine forme de sincérité et (re)faire du « faux un moment du vrai », pour rendre à Hegel sa formule originelle ?

Je ne sais pas si nous sommes collectivement capables de cette légèreté. Ce qui est véritablement insincère, c’est l’effet de chaîne, quand on trouve un même concept partout, au même moment, lorsque la sincérité s’industrialise. Je me demande si, être sincère, ce n’est pas tout simplement s’assumer – y compris avec ses défauts – dans une posture minimale. Publiciser ses propres failles est très millennial. Je crois que ce que les gens ne supportent plus, c’est la posture de la fausse intimité, de la fausse connivence. La jeune élue du Congrès américain Alexandria Ocasio-Cortez est révélatrice de cette ambiguïté, entre sobriété sincère et stratégie de communication millimétrée. Elle l’a démontré pendant sa campagne et continue de le faire au quotidien sur ses réseaux sociaux.

Auteurs et autrices

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